Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

Rencontre avec un homme célèbre

Nous avons pris le train. Dans le compartiment, il n’y avait que nous deux : moi assis à droite, lui en face, à gauche. Je le connaissais bien. Impossible de passer à côté de son visage : il est partout, sur les écrans, dans les journaux, dans les discussions. Le train s’est ébranlé sans qu’aucun mot ne soit échangé, sauf mon salut poli à l’entrée. Il m’avait répondu avec une chaleur un peu excessive, comme s’il voulait marquer un territoire.

Une heure à passer ensemble, juste le temps qu’il faut pour relier Rabat à Casablanca.

Je lui ai demandé : Vous êtes de Casa ?
Il m’a lancé un regard intrigué avant de répondre : Non.

J’ai enchaîné, d’un ton un peu naïf : Ah, vous y travaillez alors ?

Cette fois, il m’a observé longuement, de haut en bas, comme s’il voulait me cerner. Puis il a lâché : On peut dire ça.

Je savais que ma question ne l’intéressait pas vraiment. Ce qu’il voulait savoir, c’est si j’étais au courant de qui il était. Après tout, tout le monde le connaît. Il est omniprésent. Mais il s’est retenu. Il a gardé son calme.

Je n’en suis pas resté là :

  • Vous êtes d’où alors ?
  • D’El Jadida.
  • El Jadida même ou les alentours ?
  •  Les alentours.
  • Dites-le franchement : la campagne. Ce n’est pas un problème. Moi aussi je viens d’un coin perdu… près de Zerhoun.

Il m’a regardé sans répondre.

Je suis allé encore plus loin :

  • Il n’y a pas beaucoup d’opportunités là-bas. Vous avez bien fait de venir à Casablanca.

Là, j’ai senti une gêne monter sur son visage. Je me suis tu un moment, feignant de m’intéresser à mon téléphone, tout en le surveillant du coin de l’œil. Il me jetait de petits regards furtifs, puis s’évadait à travers la vitre.

Il est habitué à la célébrité, aux gens qui l’arrêtent, le reconnaissent, le sollicitent. Mais là, il était invisible. Anonyme. Et ça ne devait pas lui plaire.

Le train poursuivait sa route, et moi, mon petit jeu. Je lui parlais de tout — cinéma, politique, science, sport — sans jamais parler de lui. Parfois, j’évoquais des noms de son entourage, puis je détournais habilement la conversation.

Il m’arrivait de jouer la vedette et de le reléguer au rang d’inconnu. De faire celui qui sait, en le traitant comme un profane. Je m’amusais, mais au fond, j’avais aussi de la tendresse pour lui. Il faut dire qu’il avait une patience admirable.

Lorsque le train arriva à Aïn Sebaâ, je pris mes affaires. Avant de partir, je me tournai vers lui :

  • J’aime beaucoup votre travail. J’ai vu votre dernière prestation : remarquable. Je vous souhaite plein de succès, et j’espère que vous continuerez à faire avancer le secteur.

Il me fixa, visiblement décontenancé. Il voulut répondre, mais ses mots se bousculèrent. Et avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, j’étais déjà dehors, avec cette pensée en tête :

  • Nous aussi, on sait jouer la comédie.
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article