Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.
13 Juin 2025
Nous avons pris le train. Dans le compartiment, il n’y avait que nous deux : moi assis à droite, lui en face, à gauche. Je le connaissais bien. Impossible de passer à côté de son visage : il est partout, sur les écrans, dans les journaux, dans les discussions. Le train s’est ébranlé sans qu’aucun mot ne soit échangé, sauf mon salut poli à l’entrée. Il m’avait répondu avec une chaleur un peu excessive, comme s’il voulait marquer un territoire.
Une heure à passer ensemble, juste le temps qu’il faut pour relier Rabat à Casablanca.
Je lui ai demandé : Vous êtes de Casa ?
Il m’a lancé un regard intrigué avant de répondre : Non.
J’ai enchaîné, d’un ton un peu naïf : Ah, vous y travaillez alors ?
Cette fois, il m’a observé longuement, de haut en bas, comme s’il voulait me cerner. Puis il a lâché : On peut dire ça.
Je savais que ma question ne l’intéressait pas vraiment. Ce qu’il voulait savoir, c’est si j’étais au courant de qui il était. Après tout, tout le monde le connaît. Il est omniprésent. Mais il s’est retenu. Il a gardé son calme.
Je n’en suis pas resté là :
Il m’a regardé sans répondre.
Je suis allé encore plus loin :
Là, j’ai senti une gêne monter sur son visage. Je me suis tu un moment, feignant de m’intéresser à mon téléphone, tout en le surveillant du coin de l’œil. Il me jetait de petits regards furtifs, puis s’évadait à travers la vitre.
Il est habitué à la célébrité, aux gens qui l’arrêtent, le reconnaissent, le sollicitent. Mais là, il était invisible. Anonyme. Et ça ne devait pas lui plaire.
Le train poursuivait sa route, et moi, mon petit jeu. Je lui parlais de tout — cinéma, politique, science, sport — sans jamais parler de lui. Parfois, j’évoquais des noms de son entourage, puis je détournais habilement la conversation.
Il m’arrivait de jouer la vedette et de le reléguer au rang d’inconnu. De faire celui qui sait, en le traitant comme un profane. Je m’amusais, mais au fond, j’avais aussi de la tendresse pour lui. Il faut dire qu’il avait une patience admirable.
Lorsque le train arriva à Aïn Sebaâ, je pris mes affaires. Avant de partir, je me tournai vers lui :
Il me fixa, visiblement décontenancé. Il voulut répondre, mais ses mots se bousculèrent. Et avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, j’étais déjà dehors, avec cette pensée en tête :