Le Dernier Passage

Il franchit la porte du grand immeuble situé dans l'une des plus belles avenues de la capitale. Contrairement à l'habitude, l'agent de sécurité ne se précipita ni pour prendre le cartable en cuir du directeur ni pour lui ouvrir la porte de l'ascenseur. Ses pas semblaient lourds, et son enthousiasme plus discret qu'à l'accoutumée.

L'ascenseur s'éleva vers l'étage le plus haut après le dixième, tandis que l'attitude du gardien continuait à troubler l'humeur du directeur, malgré ses efforts pour l'ignorer.
Lorsque la porte s'ouvrit et que le long couloir menant à son bureau se dévoila, ses soupçons s'intensifièrent.
Il ne vit pas les employés se redresser, comme ils le faisaient habituellement par crainte respectueuse.
L'une des employées poursuivit même tranquillement sa conversation avec un collègue, ignorant ostensiblement son passage à côté d'elle.

À cet instant, l'agacement se mua en une colère sourde dans la poitrine du directeur. Il fut à deux doigts d'éclater en invectives, n'eût été l'arrivée de l'un de ses proches collaborateurs, qui s'empressa de prendre le cartable et de lui souhaiter la bienvenue, comme il avait l'habitude de le faire chaque matin, chaque soir, et entre les deux.

Le directeur retrouva peu à peu son calme, comme il l'avait été lorsqu'il prenait son café ce matin. Ses regards vers les employés trahissaient un désir ardent d'infliger les sanctions les plus sévères à quiconque avait osé le négliger. A ses yeux, son autorité incarnait celle de l'état, et tout manque de respect était un affront qu'il ne pouvait tolérer. 

Il continua de ruminer sa colère intérieure jusqu'à atteindre la porte de son luxueux bureau. Son collaborateur lui ouvrit la porte, et il entra.
Son regard balaya la droite, où un grand portrait de lui ornait le centre d'une imposante armoire en bois, l'une de ses premières exigences lors de sa nomination au poste de directeur central. Puis il tourna les yeux vers la gauche, vers son bureau... pour découvrir quelqu'un d'autre assis à sa place.

Il lui fallut alors avaler l'amère vérité de sa destitution.
Sans avertissement.
Sans adieux