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En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

Le Crédit inépuisable (الرصيد المفتوح)

Comme à son habitude, Larbi se leva de bonne heure. Le samedi était son jour préféré. Un jour de repos, certes, mais il l’aimait davantage que le dimanche : il n’y ressentait aucune pression, et pouvait prolonger sa veillée autant qu’il le voulait, puisque le lendemain était aussi un jour férié. Il s’habilla rapidement - il détestait manquer son café du matin -. Il s’installa dans le café du coin, à sa place habituelle. Le serveur ne tarda pas à lui apporter un café léger, sans sucre. Ils échangèrent des salutations, quelques rituels, le serveur retourna à ses affaires, laissant Larbi seul avec son roman : "Maintenant, ici…"  d’Abderrahmane Mounif (  عبد الرحمن منيف  ).

Ce n’était pas la première fois qu’il lisait ce livre, mais il ne comprenait toujours pas pourquoi il ressentait ce besoin de le relire encore, au lieu de découvrir les autres romans de l’auteur. Peut-être à cause de son souffle épique, ou de la dureté du pouvoir qu’il y dépeint — une dureté dont Larbi avait eu un avant-goût à une certaine époque de sa vie. Peut-être aussi à cause de la proximité qu’il ressentait avec certains personnages.

Une demi-heure passa, peut-être plus. Larbi était absorbé dans sa lecture, immergé dans les événements, suivant les personnages, touché par leurs histoires, séduit par le style. C’était toujours comme ça avec les romans de Mounif ou de Hanna Mina (حنا مينه).

Soudain, il referma le livre. Un coup d’œil à l’écran de son téléphone suffit à le tirer de sa bulle. Il ramassa ses affaires et sortit en hâte du café, sans même régler l’addition. Il se dirigea aussitôt vers la première agence bancaire qu’il connaissait. Malheureusement, le distributeur automatique était hors service.

Il partit alors à la recherche d’une boutique où acheter une recharge téléphonique, mais à cette heure-là, toutes étaient encore fermées. Pour la première fois, Larbi regretta de ne pas avoir installé l’application bancaire sur son téléphone.

Il prit sa voiture et accéléra vers une autre agence. Une tension inhabituelle l’envahissait. Il se rappelait qu’il avait oublié depuis longtemps de recharger le téléphone de sa mère.

Dans cette course effrénée, il n’avait pas le temps de se poser les questions : Comment ?, Pourquoi ?, Quelle raison ?, Quelle explication ?

Un seul souci l’occupait : trouver un guichet automatique, envoyer la recharge, et appeler ensuite Set Elkol (الكلست  )  « la dame de tous les cœurs ».

Non loin de chez lui, il trouva une agence. Il inséra sa carte, navigua rapidement dans le menu, et sans hésiter, saisit le numéro de sa mère. Il le connaissait par cœur, bien sûr. Il envoya une recharge de 500 dirhams. La confirmation arriva presque immédiatement : le crédit avait été ajouté.

Un long soupir lui échappa, suivi d’un sentiment de calme. Il s’apprêtait à composer le numéro de sa mère, prêt à lui demander pardon, et peut-être à lui faire un petit reproche affectueux. Il savait qu’elle avait trop de fierté pour demander quoi que ce soit — « sauf à son Seigneur » ( ربهامن سوى  ), disait-elle souvent.

Mais au moment de l’appeler, un choc brutal le traversa : elle était morte. Depuis plus de six mois. Larbi s’effondra intérieurement. Il s’appuya contre le mur et pleura en silence. Il mesura alors toute l’ampleur du vide qu’elle avait laissé.

Lorsqu’il parvint à reprendre ses esprits, il composa tout de même son numéro. Il laissa sonner, longuement. Sans attendre de réponse. Puis il ouvrit l’écran des messages et écrivit : « À toi, qui que tu sois, ce numéro appartenait à ma mère, disparue depuis six mois. Je continuerai à envoyer des recharges régulièrement, comme avant. Je ne te demande qu’une chose : une prière pour elle (دعاء). Rien de plus. »​​​​​​​

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