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En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

Moi et la vache par un matin pluvieux

Un jour, bien différent de ceux que nous connaissons aujourd'hui, le ciel était couvert de pluie. Certes, à cette époque, les précipitations étaient plus régulières et bien plus abondantes, mais tout autant que je désire ardemment leur retour aujourd’hui, je souhaitais alors qu’elles cessent chaque jour. Ces torrents célestes déversaient sur nous des quantités d'eau bien au-delà de ce que mes camarades et moi pouvions supporter.

C’était en 1976, j’étais en deuxième année de primaire, à peine âgé de six ans. J’étudiais à la "Groupe scolaire Oualili" à Zegouta, et je partageais mon temps entre le douar "Ben Chehib" où vivait ma tante, et "Azib Sidi El Mehdi" chez mes oncles. Ce jour-là, c’était un dimanche d’hiver, et la pluie tombait sans discontinuer depuis des jours, voire des semaines. Les conditions de vie dans les villages n’étaient pas les mêmes qu’aujourd'hui. Tout le monde n’avait pas le luxe d’avoir de maisons capables de les protéger contre les assauts de la nature et les torrents qui déferlaient. Les vêtements adaptés à l’hiver manquaient aussi cruellement. Les vêtements chauds, les chaussettes en laine et les chaussures convenables n’étaient pas accessibles à tous. Nous devions nous contenter de ce que nous avions, en nous appuyant sur la résistance de nos corps, même frêles et sur une résilience puisée dans la dureté des montagnes environnantes..

Ma tante ne possédait pas beaucoup d’animaux : une vache, un âne, quelques poules, et un chien plus doué pour aboyer que pour garder. Ce jour, après le petit-déjeuner, elle me demanda de mener la vache aux vergers avoisinants pour qu’elle broute ce que la terre avait généreusement offert. J’étais surpris par cette demande, car Jusqu’à ce jour, elle revenait habituellement à ma cousine, plus âgée que moi. Mais cette fois, les choses étaient différentes. Ma cousine étant occupée ailleurs, je me retrouvai seul pour assurer cette mission, dans un contexte peu enviable, la pluie battait fort, le froid mordait bien au-delà de ce que mes vêtements pouvaient supporter et surtout, l’environnement du village m’inspirait une crainte irrationnelle. Peut-être était-ce dû aux histoires que ma cousine Amina, me racontait ou peut-être à la disposition du village, composé de maisons éparpillées, séparées par des vergers d’oliviers et de figuiers.

Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter mon sort. Je conduisis la vache là où l’on m’avait demandé, tout en tremblant de froid et de peur. Les gouttes de pluie résonnaient sur les arbres et les plantes comme un rythme "gharbaoui". En revanche, la vache semblait au comble du bonheur, non seulement parce qu'elle était libérée de son attache, mais aussi parce qu’elle se délectait des plantes abondantes que la terre avait à offrir.

J'essayai de me rassurer en me disant qu'il n'y avait rien à craindre, ni humains ni esprits n’auraient envie de sortir sous cette pluie glaciale. Qui aurait intérêt à sortir par un tel temps ? Chaque fois que je parvenais à me calmer, le froid mordant me rappelait que ce n'était pas une promenade agréable avec la vache de ma tante, mais une épreuve qu'aucun enfant n’aurait souhaitée dans sa jeune vie.

Le temps s’étirait interminablement. À chaque coup d’œil à la vache je ne pouvais m'empêcher d'imaginer la béatitude qu'elle devait ressentir, broutant tout ce qu'elle trouvait sur son chemin. Les heures semblaient se transformer en éternité. Mes espoirs de réconfort s’effilochaient peu à peu, et même les oiseaux, habituellement mélodieux, étaient silencieux, laissant le vent et le bruissement des arbres amplifier mon angoisse. Mes vêtements étaient trempés, et mes chaussures s'étaient transformées en petites mares dans lesquelles mes pieds pataugeaient.

À un moment donné, il me sembla entendre un bruit. Je m’immobilisai, tous mes sens en alerte, prêt à réagir au moindre danger, à choisir rapidement une direction pour fuir. Heureusement, ce n’était qu’un ânon égaré qui avait trouvé son chemin jusqu’à moi. Une fois calmé, je tournai mon regard vers la vache, toujours absorbée par son festin, sans le moindre signe de souci pour ce qui se passait autour d’elle. C’est alors que je compris que cette tâche "maudite" ne prendrait fin que par la bonne volonté de la vache. Mais je savais aussi que je ne pourrais plus tenir longtemps.  Je brandis mon bâton devant la vache, qui sembla surprise. Elle tenta d’opposer une légère résistance, mais après un coup léger sur son dos, elle comprit que l’heure du retour avait sonné. Nous prîmes le chemin du retour ensemble, plus nous approchions de la maison, plus ma peur s’évanouissait, et mon corps retrouvait son calme.

Nous atteignîmes la porte de la maison de ma tante, la vache entra en premier, et moi à sa suite. Le bruit que nous fîmes suffit à attirer l’attention de ma tante et de ma cousine Amina. Ma tante apparut depuis sa cuisine traditionnelle, la "kachina", visiblement contrariée :

  • "Es-tu allé chercher des courses pour le caïd pour revenir si vite ?"

Au ton de sa voix et à l’expression de son visage, je compris que j’étais rentré plus tôt que prévu. Je lançai un regard implorant à ma cousine, mais son sourire moqueur me fit comprendre qu’il n’y avait aucune échappatoire. Mon regard parcourut les environs de la maison, aucune issue ne semblait se présenter. Résigné à mon sort, je dus retourner à cette épreuve inévitable : moi, la vache, la pluie torrentielle, et mes peurs qui ne faisaient que s’amplifier.

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