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En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

La première visite de ma mère

Les matins à Zegouta ont une saveur particulière, comme dans les villages du Maroc où les gens se lèvent tôt, et où les tâches ménagères commencent dès les premiers rayons du soleil. Ce jour-là était un dimanche, et je n'avais pas à aller à l'école. Mais ce dimanche avait une saveur encore plus spéciale, car c'était la première visite de ma mère depuis que j'étais venu chez mes oncles pour étudier. J'avais tant envie de me blottir dans ses bras, de demander des nouvelles de mes frères, de partager avec elle les moments passés ici, entre mes oncles à Azib Sidi El Mehdi et ma tante à Douar Ben Chehib. J'étais impatient de voir sur le visage de ma mère les traces laissées par mon absence forcée. Bien sûr, ma grand-mère faisait tout pour me combler, mais rien ne remplace la présence d'une mère.

Je vivais habituellement chez ma tante. La distance entre sa maison et celle de mes oncles n'était pas grande, mais le chemin était difficile pour un enfant de mon âge. Ma cousine Amina remarqua ma joie palpable et mon impatience à retrouver ma mère, elle posa ce qu'elle avait en main, prépara l'âne et les cruches, puis me dit : "Aujourd'hui, nous irons chercher de l'eau à 'Ain Skhoun' au lieu de 'Ain Rbiâ', et ce sera l'occasion de t'emmener chez tes oncles."

Je ne saurais décrire la joie qui m'envahit à cet instant. Comment cette jeune fille pouvait-elle toujours ressentir ce que je ressentais sans que j'aie besoin de le dire ? Amina était cet ange qui veillait sur moi du matin au soir. Elle parlait pour moi quand je n’avais pas les mots. Elle pansait mes blessures. Elle était une travailleuse infatigable, semblable à une fourmi diligente.et je me réjouissais lorsqu’elle me disait qu'elle avait hérité toute cette énergie de ma mère. Elle me faisait sourire quand elle m'appelait affectueusement : "Espèce de fou, tu es mon frère."

Ma mère arriva enfin, et m’enlaça tendrement, je ne sais pour combien de temps. Je lui posai toutes les questions qu’elle attendait, et même celles auxquelles elle ne s’attendait pas. Elle s’efforçait de rendre sa visite la moins perturbante possible pour mes études, et je crois qu’elle y réussit à merveille.

Ma mère était la plus jeune d’une famille de six enfants, deux filles et quatre garçons. Malgré son rang de cadette, elle imposait une autorité que personne ne pouvait contester. Dès son arrivée, elle prenait naturellement les commandes, devenant le maître à bord. Rien ne se décidait sans son approbation. Les filles de la maison étaient les premières à souffrir de sa présence, car elles savaient qu’à son arrivée, les grandes tâches allaient commencer : balayer, ranger, blanchir, laver les vêtements et la vaisselle, rien n’échappait à son regard exigeant. Rien ne répondait à ses standards, ses exigences dépassaient souvent les capacités et l’endurance de mes cousines. Le temps semblait s’étirer pour elles, tandis qu'il filait à une vitesse folle pour moi. J’aurais voulu pouvoir l’arrêter. Ni les jeux avec les enfants du douar, ni les sorties aux champs avec mes cousins ne m’intéressaient. Je ne pensais qu’à une chose : demain, je devrais dire au revoir à ma mère avant d'aller à l'école.

Je ne me souviens plus où j'ai dormi cette nuit-là, probablement dans les bras de ma grand-mère. Tout ce dont je me souviens, c’est que je me suis réveillé au son de la voix de ma mère, m'appelant pour le petit-déjeuner. Elle vérifia les vêtements que je porterais, me parla de l'avenir, de l'importance des études, et de la chance que j’aie de vivre entre mes tantes et mes oncles. Puis elle se tut. Son regard et son silence me firent comprendre qu'il était temps de partir. Ces instants étaient plus douloureux que le jour où elle m'avait laissé à l’école pour la première fois. À l’époque, j’avais le plaisir de découvrir un nouveau monde, mais aujourd’hui, je faisais face à la dure réalité d’être un enfant partagé entre deux villages, deux maisons, et trois familles. Mon village, ma maison, ma mère et mes frères étaient si proches, mais hors de ma portée.

Ma mère partit, me laissant avec une seule pensée : combien de temps pourrais-je tenir avant de décider de revenir ? Je savais que cette décision de retour serait mienne à prendre.

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