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En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

Le Rond-Point

Fin de nuit ou début de matinée ? Peu importe. Ce qui est certain, c’est que ma petite voiture me transporte, fidèle, avec Amine et Inès à l’arrière, vers leur école.

Entre Témara et Rabat, la circulation s’épaissit. Je m’arrête sur le bas-côté d’un grand rond-point. J’attends une ouverture, une brèche dans ce fleuve incessant de véhicules. J’essaie d’y glisser ma voiture, discrètement, prudemment, mais chaque tentative est repoussée.

Les phares me heurtent comme des projecteurs de scène où je ne suis pas invité. Les klaxons m’assaillent sans pitié, m’assignant ma place : dehors. Le plus souvent, ce sont des 4x4 lustrés, pressés, arrogants.

Le temps file, la pression monte. Amine et Inès se tortillent sur la banquette arrière. Ils ne veulent pas être en retard, et moi, je me sens minuscule, impuissant face à ce flux qui ne ralentit jamais.

Derrière moi, les klaxons redoublent d’intensité. Des voix s’élèvent, des injonctions jaillissent à travers les vitres :
— Allez, avance !
— Tu sais conduire ou pas ?
— Dégage la voie !

C’est le seul langage qui semble avoir droit de cité ici : celui de l’urgence, de l’agressivité sonore.

Je sens la tension me gagner. Mes mains se crispent sur le volant, mes pensées s’emmêlent. Puis, soudain, deux petites voix me ramènent à l’essentiel :
— Allez papa, fonce !

Un sourire furtif traverse mon visage. Je guette un interstice, une faille dans l’armure de métal. Elle est là, minuscule. Je m’élance.

Mais derrière moi, un 4x4 surgit, accélère. Le conducteur n’a visiblement aucune intention de céder. Il fonce, comme si ce rond-point était une arène où seul le plus fort mérite le passage.

Un frisson me traverse. D’un coup sec, je tourne le volant pour éviter la collision. La manœuvre est brusque mais salvatrice. Grâce à Dieu, la voiture est intacte. Nous aussi.

Par réflexe, je jette un œil dans le rétroviseur. Je le vois, agitant les bras, vociférant. Je n’entends pas ses mots, mais je les devine :
— Depuis que n’importe qui peut acheter à crédit, voilà qu’ils viennent nous embouteiller avec leurs caisses bon marché...

Je détourne le regard, vérifie mes enfants. Tout va bien. Le souffle est court, les cœurs battent encore fort, mais on est passés.

Un sentiment étrange m’envahit : un mélange de fierté discrète et de victoire dérisoire. Amine et Inès sourient, ravis. À travers leurs yeux, l’épreuve devient un exploit.

Je reprends mes esprits. Ce n’est qu’un matin ordinaire, une scène parmi tant d’autres. Mais je le sais déjà : demain, à la même heure, au même rond-point, ma petite voiture et moi affronterons à nouveau la foule, le mépris, la vitesse.

Et encore une fois, nous passerons.

 

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