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En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

Rendez-vous manqué avec le train

Il est trois heures cinquante-trois de l’après-midi. Le café fume encore entre mes doigts, et la conversation s’étire doucement avec mes amis, sans la moindre inquiétude. Le billet est bien est en poche, enregistré aussi sur mon téléphone, histoire d’éviter toute mauvaise surprise. Aux alentours de seize heures, je me lève, règle l’addition, adresse un signe d’au revoir à mes compagnons. L’heure du départ approche, mais j’ai encore un peu de marge.

La gare n’est qu’à quelques mètres. La gare de Meknès a toujours eu une saveur particulière pour moi, surtout que j’ai découvert le train assez tard. Ce n’est qu’à l’âge de quatorze ans que j’ai pu monter à bord pour la première fois. Peut-être est-ce pour cela que j’aime tant voyager en train. Hélas, plus je l’aime, plus il s’acharne à m’humilier. Un jour il arrive en retard, un autre il démarre avant que je n’arrive. Je lui jure, la main sur le cœur, que je suis à l’heure, mais il persiste à prétendre le contraire. Une fois, il n’est même pas venu. Nous avions rendez-vous à 23h30 à la gare Agdal de Rabat. J’étais arrivé, comme toujours, en avance. Nous devions veiller ensemble toute la nuit, jusqu’à l’aube à une station de Nador. Mais il ne s’est jamais montré. Il n’a même pas pris la peine de me prévenir. Sans la compassion de quelques amis, je serais resté là, à attendre celui qui vient... ou pas.

Mais cette fois, mon ami Ahmed m’a assuré que le train avait atteint un nouveau stade de maturité. Et je fais confiance à Ahmed. Il sait combien je suis amoureux de ce mode de transport, alors il m’envoie souvent des informations prouvant que son comportement a changé. C’est donc en toute confiance que j’ai décidé de voyager de Meknès à Rabat, une fois de plus, en train.

J’arrive à la porte de la gare. Il y a foule à l’intérieur. Une longue file attend d’acheter des billets, une autre se presse devant les portiques. Je ne m’en soucie pas : j’ai déjà mon billet, et même une copie, au cas où le réseau ferait des siennes. J’ai tout prévu pour que ce voyage soit agréable, pour que ma rencontre avec le train soit réussie.

Mes yeux parcourent la gare, mur par mur, panneau par panneau. Je ne cherche rien de particulier, je le sais. Je savoure juste l’instant : je ne prends pas le train tous les jours. Je regarde l’heure : il est maintenant 16h10. Dans cinq minutes à peine, nous devrions entendre le martèlement de ses roues sur les rails brillants, accompagné de son klaxon sonore, à la fois avertissement et bienvenue.

Je m’avance vers la porte donnant accès aux quais. La foule y est compacte, ce qui m’étonne un peu. Je ne comprends pas pourquoi. Je m’approche d’un agent et lui montre les données de mon billet sur l’écran de mon téléphone. Il les vérifie, puis me regarde et dit :
— Attendez un peu, le train aura une demi-heure de retard, voire un peu plus.

Le choc me cloue sur place. Mes joues frissonnent d’un frisson amer, une immense déception me gagne. Je rebrousse chemin, vaincu, en murmurant intérieurement :
— Pardonne-moi, mon ami Ahmed. Je t’ai cru, mais je ne peux plus faire confiance au train.

Inutile de vous dire qu’en guise de dernier affront, le train s’est arrêté plusieurs fois en route — la plus longue pause ayant eu lieu à Sidi Kacem. Je n’ai pas prêté attention à ses excuses. J’avais décidé, malgré mon amour pour lui, de ne plus jamais faire confiance à mon cher train.

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