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En toutes lettres

Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.

La Clinique de l’Horloge

C’était un vieil homme , difficile de deviner son âge exact, mais je dirais qu’il frôlait les soixante-dix ans. Il se tenait seul dans une échoppe qui ressemblait davantage à un musée de montres qu’à une boutique ordinaire. Quand on plongeait le regard vers le fond du magasin, c’était comme s’il s’étendait en une mer de mécanismes et de tic-tacs : des horloges murales majestueuses, des montres de poche aux chaînettes dorées, jusqu’aux montres-bracelets les plus diverses. J’ai scruté l’endroit de fond en comble, sans trouver la moindre trace de montre électronique.

J’étais immergé dans cette exploration, insouciant de tout ce qui m’entourait, quand la voix grave de l’horloger me ramena brusquement au réel. Il me fixait à travers ses lunettes, et me lança d’un ton calme, mais chargé d’une autorité discrète :

– Que désirez-vous ?

J’étais à deux doigts de lui répondre : « Rien », lorsque sa loupe, fixée à l’œil comme une sentinelle, me rappela la raison de ma venue. J’avais traversé une longue distance à la recherche de quelqu’un capable de décoder une montre que tant d’autres avaient abandonnée.

Je lui tendis l’objet en demandant :

– Seriez-vous en mesure de réparer cette montre ?

Il me jeta un regard mêlé de reproche et de fierté, puis déclara :

– Est-ce une question sérieuse ? Vous ne savez donc pas à qui vous avez affaire ?

Un peu confus, je baissai légèrement les yeux, tandis qu’il s’emparait de la montre avec le respect d’un médecin examinant un organe précieux. Après un court instant, il revint vers moi, le ton ferme et confiant :

– Revenez dans soixante minutes.

Je m’éclipsai, flânant entre le café Balima et la Bibliothèque nationale, puis de la ruelle de Bab El Had jusqu’à la place El Hamam (pigeons). Ma montre électronique moderne , ironie du sort , m’annonça qu’un peu plus d’une heure s’était écoulée. Je rebroussai chemin, pressé de savoir si les années d’expérience de cet homme suffiraient à faire revivre cette montre singulière — ou du moins à comprendre ce qui se cachait derrière son regard supérieur. Était-ce l’assurance tranquille d’un artisan maître de son art, ou bien le masque d’un orgueil trop familier dans les centres anciens ?

À mon retour, je le retrouvai toujours à son poste. Sa loupe miniature fixée à un œil, tandis que l’autre surveillait l’atelier comme un gardien attentif. Il leva les yeux vers moi, ouvrit un tiroir, en sortit la montre et me la tendit, accompagnée d’un petit feuillet :

– Voici le diagnostic. Elle présente plusieurs traumatismes, et un phénomène de rebond dans certains de ses composants.

Je pris l’objet avec soin et demandai :

– Et combien coûterait la réparation ?

Il répondit, sûr de lui :

– Deux cents dirhams.

Le montant me prit de court. J’esquissai un sourire moqueur :

– Je croyais que cette montre ne valait pas tant que ça…

Il me répondit, avec une pointe d’ironie :

– Vous ignorez la valeur de ce que vous possédez. Si elle n’était pas précieuse, jamais je n’aurais accepté de la réparer.

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