Écrire, c’est laisser la mémoire faire son œuvre.
29 Mars 2025
J'ai dû avaler ma déception avec difficulté, et les jours recommencèrent, ou presque, à suivre leur cours habituel. Certes, chaque fois que je voyais l'un de mes camarades se rendre à l'école ou en revenir, je ressentais une certaine amertume. Mais, heureusement, le travail aux côtés de ma mère en tant qu'apprenti couturier ne me laissait guère le temps de trop y penser.
Le village de "Kermet Ben Salem", pour ceux qui ne le connaissent pas, se situe au pied des montagnes du Rif, entouré de plusieurs autres villages, les plus importants étant "Beni Maraaz", "Boumerak", "Tazza", et "Ain Si aamar", tous des régions amazigh de la région du rif. Cependant, sur le versant de la montagne, il jouxte "Zeggouta", une tribu des Cherarda. De cette proximité est né le mariage de ma mère, Aïcha Smellali, avec mon père, Mohammed Loukili. À la mort de ce dernier, ma mère décida de rester au sein de la tribu de son mari, décision qui, à mon avis, est l'une des raisons pour lesquelles elle était si respectée partout où elle allait.
Un jour, alors qu'elle revenait d'une visite chez ses proches à Zegouta, ma mère m'annonça une nouvelle qui allait bouleverser ma vie : "Lève-toi, mon fils, tu vas étudier à Zegouta chez ta tante."
C'était incroyable, presque impensable. Comment pouvais-je retourner à l'école alors qu'on m'avait refusé l'inscription ici ? Le système là-bas était-il différent ? Était-ce parce que nous étions des amazighs et eux des arabes ? Tant de questions traversèrent mon esprit, mais elles importaient peu face à la possibilité d'aller enfin à l'école. J'allais me venger du destin qui avait failli me priver de cette chance.
Le trajet, bien sûr, de Kermet Ben Salem à Zegouta se faisait à pied, et moi, enfant de cinq ans à peine, je devais parcourir environ sept kilomètres aux côtés de ma mère. Cette distance ne m'empêchait pas de penser au lendemain qui m'attendait là-bas, à la façon dont j'allais passer mes journées entre mes oncles à "Azib Sidi El Mahdi" et ma tante au "Douar Ben Chiheb". Je ne me souviens plus si nous sommes partis le matin ou le soir, ni si nous sommes allés d'abord chez ma tante ou chez mes oncles. Ce dont je me souviens clairement, c'est de Monsieur Mansour, vêtu de sa djellaba grise sortant de la classe pour accueillir ma mère, me regardant avec beaucoup de bienveillance, me prenant par la main et me conduisant à l'intérieur de la classe où Monsieur Dahabi m'attendait.
Jusqu'à ce moment, je croyais que c'était mon insistance à vouloir étudier qui avait tout changé. Plus tard, j'ai compris qu'il y avait derrière tout cela une femme plus déterminée encore, une femme qui valait mille hommes.
Lorsque je n'avais pas pu m'inscrire à l'école, ma mère avait eu une autre idée. Lors de sa première visite à sa famille, elle s'était rendue à l'école de Zegouta et avait confié à l'un des enseignants, un proche de la famille, qu'elle avait un fils en âge de l'école, mais qui n'avait pas pu y entrer. Quand il lui demanda pourquoi, elle répondit : "Parce qu'il est orphelin, et que je suis une femme sans ressource, loin des miens." Par sens de l'honneur et de solidarité, l'enseignant demanda à ma mère de ramener son fils, bien qu'un mois se soit déjà écoulé depuis le début de l'année scolaire, à condition qu'elle apporte l'extrait de naissance prouvant mon âge.
Ma mère, sous prétexte que le registre d'état civil était encore au tribunal pour des formalités administratives, prétendit ne pas pouvoir le fournir immédiatement. L'enseignant accepta cette excuse et lui demanda de rapporter les documents dès que possible. C'est ainsi que j'ai pu passer mes premiers jours à l'école.